dimanche 21 décembre 2008

Mystique culinaire et fétichisme gastronomique au Japon 1








Pour beaucoup d'Européens, la gastronomie japonaise se limite aux produits de la mer. C'est à croire que les Japonais, au cours de leur 1400 ans d'existence, ont exploré les fonds marins à la recherche de tout ce qui est comestible: bien evidemment poisson, algues, coquilles St. Jacques, crabes, mais aussi tarako (鱈子, oeufs de colin), oeufs de pieuvres, namako (海鼠, ou bêche de mer) et bien d'autres invertébrés aux tentacules visqueux.

La viande de baleine constitue un entorse flagrante au concept de tradition gastronomique. La chasse au cétacé n'est pas une tradition. Ce pan de la gastronomie japonaise est né dans la préfecture de Kōchi (高知), sur l'île de Shikoku (四国) et s'est généralisé dans les années soixante. A cette époque, la plupart des cantines scolaires servaient de la baleine; celle-ci coûtait moins cher que la viande de poulet. Aujourd'hui, quelques resraurants seulement servent l'objet du délit, acquis de haute lutte sous les huées de la communauté internationale et les lacrymogène de Sea Shepherd(http://www.seashepherd.org/).

Qui a raison? Qui est le plus ridicule? L'Occidental, amoureux candide et éploré d'un cétacé qu'il ne verra jamais? Ou le gastronome japonaise, pret à déclarer la guerre au monde pour satisfaire son petit estomac enfoui dans son petit corps?

Le Japonais se voit comme un coitoyen de l'unique superpuissance gastronomique, ce qui lui donne le droit de traverser les Océans, de braver la marine australienne et l'armée de l'air néo-zélandaise et de foncer jusqu'en Antarctique afin de pécher un millier de rorquals a museau pointu.

Mais nous n'écouterons pas les arguments des uns et des autres, car ils sont bien moins fascinants que les borborygmes des gourmets japonais. Les Japonais ont un rapport intense avec la nourriture. Ils en parlent tout le temps; enclenchez votre téléviseur et vous verrez que plus de la moitié des programmes sont consacrés à la bouffe sous tous ses angles, avec plans pornographiques sur les sauces et mises en scène dynamique des cuistots en train de mettre en pièce un énorme quart de thon gras. De par cet amour irrationel, la grande majorité des Japonais se voient comme des gourmets (グルメ, gurume). Un gourmet, en français, est un puriste des arts de la table qui trouve son bonheur dans la haute cuisine; on lui confère parfois un caractère snob et arrogant. Un gurume est une sorte d'aspirateur à bouffe capable d'ingérer du Wendy's et des sashimi et d'en tirer un plaisir à peu près égal. Le gurume est également un grand buveur.

Cependant, il existe chez les gurume une frange extrémiste, qui éprouve un plaisir supérieur à manger des choses rares et chères. Ce gurume est d'un genre particulier: au delà du goût, il lui faut de la manger introuvable dans des restaurants discrets. Il est le premier consommateur de viande de baleine et parle de tradition après chaque repas.

Cependant, la viande de baleine n'est pas introuvable, loin de là. Kujira-Ya (くじら屋, littéralement Restaurant de Baleine) se trouve dans le quartier très fréquenté de Shibuya: l'enseigne est gigantesque, le chef connu; la clientèle se bouscule et des touristes étrangers s' rendent également afin de déguster le mets interdit.

Bien que la viande de baleine ne soit plus aussi populaire que dans le années soixante, on en trouve facilement, à un prix raisonnable. D'autres mets ont attiré mon attention. Le gurume connait d'autres adresses, qu'il va bien souvent garder pour lui.


Taka-Ichi, le cabinet curiosités

Un lieu anodin, une façade terne et sans charme; Taka-Ichi n'attire pas forcément le regard. De nombreux izakaya (居酒屋, qui est l'équivalent plus ou moins élaboré des brasseries en France) arborent fièrement un aquiarium en guise de devanture. ABC soumet deux aquarium à la curiosité du pubic, ce qui est remarquable. L'enseigne monochrome n'a rien de particulier; cependant, nous pouvons y lire: クマナベ, イノシシナベ, シカさし (kuma nabe, inoshishi nabe, shikasashi: nabe d'ours, nabe de sanglier, sashimi de cerf).

Nous entrons. Les murs sont couverts d'aquarium. Des créatures extraordinaires y nagent lentement, prêtes au sacrifice. L'endroit est miniscule, vieux, étange; les serveurs, au nombre de huit, prennent beaucoup de place. L'aspect le plus terrifiant de cette échoppe: les prix ne sont pas indiqués. Voilà nous y sommes: nous pénétrons dans l'antre du gurume extrémiste. Les assiettes rares et grotesques défilent autour de nous; les clients se délèctent de sashimi de crevettes impériales, de potée d'ours, de baleine frite, de baleine crue, de sashimi de cheval, de sashimi de cerf, le tout arrosé de litres de bières. Des animaux à peine dépecés gigotent dans quelques assiettes.
Nous commandons un calamar. Le serveur passe la commande au cuisinier; ce dernier, juché sur un escabot et armé d'une grande épuisette, attrappe un beau spécimen et l'émince en une vingtaine de seconde. Le plat nous est servi humblement, dans la plus pure tradition. Je saisis un tentacule et le trempe dans la sauce soja. Le membre sanctionné remue; ma mâchoire lui donnera le coup de coup de grâce. La sauce soja semble avoir un effet ravageur sur les calamars démembrés. En jetant quelques gouttes de ce liquide noir sur notre assiette, la tête du mollusque est presque parvenue à s'échapper de notre assiette, en un sursaut de désespoir.

L'addition est salée, mais nous avons découvert un repaire de la tambouille rare et chère. Le goût n'a finalement aucune importance dans cette échoppe. La carte et le côté délabré du lieu donnent satisfaction aux clients. Plus qu'un restaurant, il 'agit d'un cabinet de curiosité, dont les visiteurs sont des fétichistes, qui aiment braver des interdits culinaires et qui aiment, par dessus tout, la clandestinité et le secret.

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