Les Japonais vont au stade en famille. Le prix relativement bas des places permet à la famille nucléaire monoparentale japonaise d'essaimer aux quatre coins du stade. Si le club est basé à Tokyo, vous verrez également un nombre impressionant de charmantes demoiselles en minijupe; impensable en Europe, où les femmes et épouses du ballon rond sont généralement des quinquagénaires moustachues. Lors d’un match du FC Tokyo, la foule, bien que formée d'éléments trés disparates, paraît uniforme. Celle-ci rugit, vrombit et chante, en formant une cadence répétée et automatique qui rappelle les défilés nord-coréen. En Europe, bien que l'assistance soit hétérogène (jeunes hommes avinés entre vingt et trente ans pour la plupart), celle-ci paraît bien moins disciplinée. Il est vrai que les Japonais aiment le groupe; et un Japonais ressemblera toujours à un autre Japonais me direz-vous. Le Japonais adule les stars du ballon rond et veut ressembler à l'homme banal dans les tribunes. L'homme banal se trouve au sommet de la chaîne alimentaire japonaise. L'homme banal a la meilleure assurance vie: pas de honte, pas de colère, pas d'amour: il n'évolue pas, mais vit bien, seul, niché au sein de la mutlitude. Le supporteur japonais siffle peu; il suit l'action et entonne les mêmes chants pendant quatre-vingts-dix minutes.
Le match continue. De jeunes vendeurs de bières arpentent les tribunes. Le Japon figure certainement en première place au palmarès des pays du confort consumériste, et cette seule pensée m'est absolument délicieuse.
Bien que le niveau de la Ligue japonaise (J-League) soit relativement moyen, elle attire un public considérable et remplit des colisées gigantesques à chaque match. Le football est essentiellement un hobby familial.
Cependant, les fans de certains clubs périphériques (banlieue de Tokyo, à savoir les préfectures de Kanagawa et de Saitama et de quelques autres patelins un peu plus lointain, comme Kashiwa et Osaka) se montrent un peu moins courtois que leurs soi-disant rivaux tokyoïtes. Certains éléments ont tendance à la jouer européenne et souhaitent importer les côtés vils du ballon rond et les généraliser à l'échelle du pays, en créant de toutes pièces de derbys et des rivalités qui n'ont pas lieu d'être.
De passage à Yokohama, j'ai passé une soirée dans un bar dédié aux Marinos (le club phare de la ville). Après avoir visionné les plus grands moments du club, à l'époque où les matchs se donnaient au Stade Mizusawa (les Marinos évoluent aujourd'hui dans le Stade Nissan, qui est la plus grande enceinte du Japon), le patron me propose un ticket pour le prochain derby de la préfecture de Kanagawa qui se donnera au Stade Olympique(国立競技場, kokuritsu kyougijou): Yokohama F. Marinos VS Kawasaki Frontale.
Nous nous rencontrons un semaine plus tard. Après quelques bières plutôt matinales, il me raconte comment les forces de l'ordre ont décimé les rangs des ultras des Marinos. La rivalité entre le Yokohama FC et le Yokohama F. Marinos a apparemment fait rage dans les années quatre-vingts-dix et a du même coup suscité les craintes des autorités, qui depuis quelques années ne tolèrent plus aucun débordement. Un petit majeur en l'air, et toute une troupe de stadier se pointe pour vous en parler.
La J-League, en tant que ligue professionelle, a été fondée il y a une quinzaine d'années. Il est impossible de comprendre comment sont nées ces rivalités. Le baseball ameute bien plus de fans sur l'ensemble du pays et les actes de hooliganisme se limitent à quelques papiers gras jetés avec nonchalance dans les toilettes du stade. Comment se fait-il que le football japonais se dirige à la vitesse de la lumière vers son inexorable destin, fait de violence et de combats de coqs? Génération spontanée? Imitation de l'Occident dans ses moindres détails? Ou est-ce que le football génère automatiquement des sentiments belliqueux à l'égard d'autrui? Le public tokyoïte n'a rien à se reprocher, si ce n'est leur attitude un peu "passe-partout": ces fans hululeraient de la même manière pour du baseball, du curling ou une partie d'échec. Les fans de Saitama, de Kanagawa et d'Osaka hululent de la même manière, même si certains de leurs membres cherchent désespérément de nouveaux ennemis. Cependant il convient de relativiser le phénomène: l'animosité que se vouent les membres de certains fan-clubs est l'apanage d'un nombre très restreint de supporteurs. Les fans japonais peuvent aisemment donner des leçon de courtoisie aux supporteurs européens. Ceux-ci, en échange, se feront certainement un malin plaisir à leur enseigner quelques leçons d'allégresse.